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               Conte 18

 

Une femme et un homme s'étaient trouvés comme aimantés dans un bar du centre-ville, un soir d'effervescence (tous les écrans transmettaient un match en direct), dans les effluves de bière et de pastis, et avaient ensemble passé le reste de la nuit, n'échangeant ni souvenirs ni promesses mais seulement quelques caresses insolentes, ivres d'elles-mêmes sans doute et qui ne semblaient pas craindre leurs ombres. Ayant cassé l'un de ses talons entre deux pavés, elle était partie sans chaussures, à l'heure du fini-parti*..., et il s'était promis, la regardant s'éloigner le long des rails (elle hésitait, prenait soin de l'endroit où elle posait le pied) — silhouette vulnérable qui lui demeurait inconnue malgré la profondeur de l'étreinte —, de renouer bientôt avec des heures aussi désemparées que brûlantes, sauvages.

Quelques temps plus tard, n'ayant pas le moindre signe, la femme écrivit à l'homme un simple message qui, bien sûr, était un appel :

 

J'ai rêvé de toi.

 

En joueur sincère, il répondit aussitôt :

 

Ce devait être mon double

téléporté
par la force de mon désir**.

 

La femme fut touchée, mais comme elle attendait une suite et qu'elle ne venait pas, elle envoya ceci :

 

Il faut croire que ce double me préfère endormie,

que c'est l'ivresse sans doute qui était forte, et le désir

aussi volatil qu'un rêve peut l'être.

 

C'était un soir de match nul.

 

* Le fini-parti désigne la pratique par laquelle les éboueurs marseillais peuvent rentrer chez eux une fois leur tournée terminée, quel que soit le temps passé au travail (cette pratique a été invalidée par le tribunal administratif de Marseille en avril 2014). Par extension, les Marseillais nomment ainsi la course ou ballet des camions-poubelles au petit matin.

** Librement adapté du premier tercet du tanka du conte CX des Contes d'Ise :

Ce doit être mon esprit
qui est allé (vers vous)
par suite d'un amour excessif

 

(extrait des contes d'ici de  Florence Pazzottu)

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